TakisL’Homme à l’image de Dieu, que Praxitèle et Donatello affranchirent de Dieu, appartient au passé. Et l’homme n’est plus ce «tout dans le présent» dont parlait Parménide – un «tout» si merveilleusement évoqué par le volume du marbre, un «présent» décrit de façon si convainçante par les paintres de la Renaissance et leur perspective vériste. Dans notre monde post-euclidien, l’individu est compris phénoménologiquement, et c’est à l’intérieur du type fondé par la lumière impressionniste ou par les plans cubistes que nous le voyons. Toutefois, alors que cette ré- évaluation a pu s’ accomplir dans le domaine de la peinture en omettant une tridimentionnalité illusoire, elle est beaucoup plus difficile en sculpture, celle-ci étant opprimée par le volume. Même quand Rodin modulait ses surfaces, leur donnat ainsi une patine impressionniste, la figure demeurait irrémédiablement un «tout dans le présent».
Pour vaincre la difficulté, la statue doit être reconstruite en termes de plans, tels que les préfigurent ces arrangements de plantes japonais dans lesquels l’ espace entre les tiges et les feuilles est rempli de vide. Le modèle de la sculpture en plans est l’arbre, et plus spécifiquement les feuilles des branches flottant dans la lumière. Avec ses «mobiles», Calder nous offre une formule impressionniste pour une statue post – dédaléene que Gaboessaya vainement de créer avec la «Construction cinétique». En réduisant les feuiiles aux formes simplifiées que Miró avait déja introduites dans son monde raffiné, terre d’enfance et de jouets, les mobiles de Calder devinrent les poèmes animés par la volonté —par opposition au vent qui animés par la volonté— par opposition au vent qui anime les arbres. Plus sculpturale est la solution offerte par Takis, don’t les élérants mobiles sont faits pour se tenir debout. Les effets des impressionnistes ont tendance à être horizontaux parce qu’ils résultent de l’observation de la diffraction de rayons de lumière sut une surface. Quand Giacometti réduit un Rodin à l’ombre de lui-même, il fournit une solution post-impressionniste, et plus convainçante dans la mesure où elle est plus poétique que la solution constructiviste.
Depuis que Giacometti a créé un monde de couroi et de cores s’evanouissant dans l’espace, il est devenu extrêmement difficile pour la statue de continuer à être à l’image de l’homme. Au lieu d’ être recréé, l’homme devrait être évoqué. «Toute chair est de l’herbe, et la beauté est comme la chair de l’herbe», dit Isaïe. Les «fleurs de l’herbe» de Takis sont composées de formes en métal, formes fabriquées ou «ready-made». Ainsides condensateurs de radio sont transformés en boutons courbant délicatement leurs tiges, et des compas de cuivre métamorhposés en pistrils de fleurs exotiques. L’homme n’ est qu’ un roseau, mais il peut opposer au vent une volonté de fer, une verge d’acier. Les fleurs de Takis sont des signaux, anthropocéphaliques, orchidées inconnues, poussant de coudes de fer, ou jaillissant de rayons d’acier. Ces signaux sont mis en mouvement par le souffle de l’inspiration qui détermine notre voyage à travers l’espace et le temps, et que symbolisent les fleurs des fusées et les figures des Cyclades. Le jardin des fleurs sans chair de Takis est accosté de vaisseaux de bronze, façonnés par ces mêmes tensions qui hantent vagabonds et planètes ou président à l’apparition des ceufs des sphinges. Les vagues de convulsions intérieures rident leur épiderme métallique. Avec Calder, nous sommes fascinés par le rythme des feuilles, et avec Giacometti par la disparition du volume. Ce qui nous enchante chez Takis, c’est la tension de la verge et du fil de métal prêts à vibrer au rythme des mélodies orphiques. La statue ne peut plus être «un tout dans le présent» parce que le présent a cessé d’ être un champ. Giacometti, du temps où il était surréaliste, métamorphosa le champ lui-même en un objet sculptural. Et aujourd’hui Takis vient rompre l’unité du champ, le reduisant à n’être plus qu’un vide semé d’ objets à l’intérieur duquel les parties sont immobilisées dans l’espace par des forces magnétiques. Les «télé-aimants» de Takis se composent de parties hétéroclites: outils à l’allure de dards, cônes, vases, yeux ovales, qu’un aimant soulève et maintient en l’air. Les parties soumises à l’attraction de l’aimant sont empêchées de venir s’y coller par un fil de metal qui les retient à leur pôle porteur. Esthétiquement, les plus purs de tous ces télés-aimants sont les obliques car, chez eux, la diagonale —une ligne qui interrompt toujours le champ de vision— est en elle–même interrompue. Alors que la plupart des ceuvres abstraites suggèrent la tension, les télé-aimants de Takis font de la tension leur contenu. C’est la seule sculpture qui corresponde à l’idée d’un cosmos oú notre planète, au lieu d’être portée par Atlas, maintient des satellites en orbite. Dans ses télé-aimants, Takis a saturé le vide avec rempli l’espace avec l’image du blanc. La sculpture-tension est aussi provocatrice que le fut en son temps la statue d’un homme marchant de Dédale. Nicolas Calas |
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